A une semaine de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi «pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif», la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) se rebiffe. Lorsqu’une personne dépose en France une demande d’asile, celle-ci est étudiée par l’Office français de protection des réfugiés et apatride (Ofpra). Si la requête est rejetée, le demandeur peut interjeter appel. C’est alors la CNDA, dépendante du Conseil d’Etat, qui instruit son dossier. Or, selon trois syndicats (FO, CGT et le Syndicat indépendant des personnels du Conseil d’Etat, affilié à l’Unsa Justice), les agents de la CNDA n’ont pas les moyens d’exercer convenablement leur mission. Ils appellent à une grève reconductible à partir de mardi 13 février.

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«Depuis plusieurs années, [la CNDA] s’est enfermée dans une logique comptable de l’asile qui fait primer le raccourcissement des délais de jugement sur la qualité de l’instruction des demandes et des décisions rendues», écrivent les organisations syndicales dans un communiqué de presse. Sébastien Brisard, rapporteur à la CNDA et secrétaire général du Syndicat indépendant des personnels du Conseil d’Etat, explique à Libération : «Il y a certains dossiers dont on considère qu’ils ne présentent pas tous les éléments sérieux d’une demande d’asile. Ils passent alors par un système d’ordonnance, c’est-à-dire une décision qui est prise par un juge sans entendre le requérant.»

«Le temps de l’écoute n’est pas respecté»

Or, déplore le responsable syndical, la proportion des ordonnances a doublé en trois ans : «On est dans une logique de respect des délais, imposée par le législateur en 2015. Donc il y a un tri fait pas les magistrats, et ils n’ont pas le temps matériel, même en faisant de leur mieux, vu la quantité de dossiers, d’avoir un traitement fin.» Les organisations qui appellent à la grève évoquent aussi une charge de travail «de plus en plus élevée» et des «audiences surchargées». Sébastien Brisard explique : «En une journée d’audience, on traite 13 dossiers, or on n’écoute pas une personne de la même façon le matin et à 19 heures, après avoir entendu 12 autres dossiers. Ce temps de l’écoute n’est pas respecté, et les dossiers sont de plus en plus compliqués, avec des problématiques plus fines à analyser.»

Les organisations dénoncent en outre la précarité des statuts des rapporteurs et secrétaires d’audience, dont une part importante est contractuelle selon Sébastien Brisard, et un défaut de prise en charge des «agents exposés aux risques psycho-sociaux inhérents à la nature du contentieux». «On a certains rapporteurs, qui sont quand même des experts des dossiers, qui sortent d’audience en pleurant, raconte Sébastien Brisard. C’est difficile d’entendre régulièrement des femmes parler de leur viol, de personnes parler de brûlures de cigarettes ou de coups de machette. On pense qu’on a l’habitude mais au bout d’un moment on craque. On voudrait la mise en place d’une cellule psychologique.»

Des «atteintes aux droits des justiciables les plus vulnérables»

Autre grief : le projet de loi asile et immigration, qui prévoit notamment de réduire le délai de recours à la CNDA, d’un mois actuellement à quinze jours. Ce qui, selon les syndicats, «renforce cette logique productiviste aux dépens de la mise en œuvre d’une justice de qualité et porte durement atteinte, tant aux droits des demandeurs d’asile, qu’aux conditions de travail des 434 agents de la CNDA».

L’association Elena, qui réunit les avocats plaidant à la CNDA, a dans le même temps lancé un appel à la suspension des audiences pour mardi. L’un de ses membres, Me Sylvain Saligari, a estimé auprès de l’Agence France-Presse que «la grève devrait être suivie à 100%». Selon les avocats d’Elena, le projet de loi «n’a pour objectif que de réduire les droits des réfugiés et, notamment, leurs droits à une défense digne. […] Chacun sait que la diminution du délai pour déposer sa demande, la réduction du délai pour exercer son droit à recours, l’absence de caractère suspensif de la plupart des recours, la multiplication des décisions rendues par ordonnance et le recours à la visioconférence sont autant d’atteintes aux droits des justiciables les plus vulnérables». Ils dénoncent en outre une «atteinte aux droits de la défense».

Kim Hullot-Guiot