Migrations. État des lieux 2017
Trois semaines avant le premier tour des élections présidentielles, cet état des lieux contribue à améliorer la compréhension des enjeux liés aux politiques migratoires et, à travers les propositions qui sont formulées, à montrer qu’une autre politique est possible.
Présente sur les terrains de l’aide aux personnes étrangères et de la défense des droits, La Cimade constate quotidiennement les difficultés vécues par celles et ceux, exilés, migrants ou réfugiés, qui viennent en France et en Europe chercher un avenir meilleur.
Fondée sur des analyses d’experts, mais aussi sur les constats de terrain des militantes et militants de La Cimade et de nos partenaires associatifs, cette publication, dont la première édition est sortie en 2009, a pour objectif de rassembler, dans un document unique, une vision transversale des conséquences du durcissement incessant des lois et des pratiques administratives.
Contrairement aux volumes précédents, qui portaient sur le bilan des politiques migratoires menées au cours des deux années écoulées, cette édition couvre une période plus longue. À travers cette prise de recul, nous avons souhaité montrer la continuité des politiques mises en œuvre ces dernières années, quelle que soit la majorité au pouvoir, plutôt que d’analyser uniquement les conséquences des dernières réformes.
Nous avons également choisi de centrer ce volume sur les limites des politiques publiques, les avancées obtenues ces dernières années en matière d’immigration nous paraissant marginales et clairement insuffisantes. « Contrôler et punir », « Sous-traiter et déléguer », « Trier pour exclure », « Discriminer et accorder des droits au rabais », « Ajouter de la violence à la violence », les cinq chapitres qui composent cet ouvrage analysent donc les impacts négatifs des actions menées par l’État et l’administration pour les personnes migrantes, en matière d’accès au territoire français et européen, de droit d’asile, de droit au séjour, d’enfermement et d’expulsion, de protection des personnes vulnérables.
Nous espérons que cet état des lieux pourra contribuer à améliorer la compréhension des enjeux liés aux politiques migratoires et, à travers les propositions qui sont formulées, à montrer qu’une autre politique est possible.
> Télécharger la synthèse de 16 pages : Migrations. État des lieux 2017 :
La promesse faite aux " dublinés " de Calais oublié
Le Monde
France, lundi 13 février 2017, p. 11
La promesse faite aux " dublinés " de Calais oubliée
En évacuant le camp, l'Etat avait promis de ne pas renvoyer ceux qui avaient accepté d'aller dans un centre d'accueil
Idress n'a pas oublié sa peur panique à la porte de l'avion. " J'ai vraiment cru que je n'aurais pas la force de résister aux policiers qui m'avaient amené là et que j'allais repartir vers Sofia. " Or le garçon sait que la Bulgarie le renverra vers l'Afghanistan, pays qu'il a fui il y a un an pour échapper aux talibans, qui l'avaient kidnappé, les mêmes qui avaient assassiné son père, policier, quelques années auparavant. Par instinct de survie, il a " hurlé de toutes ses forces " , ce matin du 5 janvier, s'être " débattu comme un fou, jusqu'à ce que les policiers me ramènent à leur voiture ".
A 19 ans, Idress a pourtant l'air d'un enfant. Son visage a conservé des traits enfantins malgré les milliers de kilomètres parcourus depuis Paktia, au sud-est de Kaboul, malgré la séquestration par des passeurs dans un coffre de voiture en Iran et les treize jours de rétention à Sofia au milieu des rats, presque sans nourriture... Le récit de ce gamin entré en France le 5 mai 2016 à pied, par Vintimille, à la frontière franco-italienne, s'attarde à peine sur ce qui lui semble être une fatalité, comme il élude le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) où les policiers l'ont emmené après son refus d'embarquer. Pourtant, " le soir du 5 janvier, à 23 heures, il a appelé, en pleurs, perdu " , raconte la femme qui l'a recueillichez elle. Sur place, la Cimade l'aide le lendemain à déposer un recours pour quitter la rétention et éviter un deuxième convoi vers l'avion pour Sofia. Stratégie qui réussit : le 6 janvier, le juge des libertés le libère.
Dans la liste de ses blessures, ce qu'Idress appelle le " mensonge français " rivalise avec les mauvais traitements bulgares. " Là-bas on m'a fait mettre à genoux et frappé à la matraque. Ici, à Calais, j'ai fait confiance quand on m'a promis qu'on ne m'expulserait pas et la France a tout fait pour me renvoyer " , raconte-t-il doucement.
" Pas de coercition "Idress est ce que l'on appelle un " dubliné ". Parce qu'il a laissé ses empreintes ailleurs en Europe avant d'arriver en France, c'est en Bulgarie, premier pays européen qu'il a foulé, que le règlement dit " de Dublin " lui impose de demander l'asile. Sauf que pour vider le camp de Calais, les autorités avaient promis que ceux qui acceptaient de partir vers les centres d'accueil et d'orientation (CAO) ne seraient pas expulsés. Le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve l'avait décrété dès octobre 2015.
Un texte - conservé par Le Monde - était alors distribué dans le camp et affiché dans le centre d'accueil de jour pour expliquer dans plusieurs langues qu' " il n'y a pas de coercition au sein des centres. Aucune décision contraire à votre volonté n'y sera prise, notamment si vous avez laissé des empreintes dans un autre pays européen (Dublin) " . Un engagement encore répété par M. Cazeneuve, à Gelos (Pyrénées-Atlantiques), le 28 octobre 2016 à la fin du très médiatique démantèlement du bidonville, présenté comme une opération humanitaire. " Je ne souhaite pas qu'à partir des CAO on procède à des opérations de "dublinage" . Ceux qui sont dans les CAO ont vocation à être accompagnés vers l'asile dès lors qu'ils relèvent de ce dispositif. "
C'est bien aussi la version qu'Idress avait entendue, lui comme des centaines de migrants lors " des maraudes de l'OFII - Office français de l'immigration et de l'intégration - ou de l'Ofpra - Office français de protection des réfugiés et apatrides -, tout le monde m'avait répété qu'on ne me renverrait pas en Bulgarie " , se désole-t-il.
Idress n'est pas un cas isolé. D'autres sont repartis en silence, qui n'ont pas eu comme lui le courage de résister. Alani, irakien en CAO à Auch (Gers) " a d'abord fui son CAO, prenant peur quand la police l'a convoqué pour un départ vers la Finlande , raconte Maya Konforti, de l'Auberge des migrants, qui fédère la plate-forme d'aide des soutiens aux CAO . Revenu au foyer, sur notre conseil , il n'a pas tenu le coup face à l'incertitude, la pression et a finalement accepté la mort dans l'âme de monter dans l'avion " .
D'autres encore n'ont pas eu le choix comme Alkhudir, en CAO dans l'Aube, qui le 13 décembre 2016 a été renvoyé vers Berlin. Ou Adam, en CAO à Besançon, qui fin 2016 a été expulsé vers la Hollande où il a dormi dix jours à la rue avant de revenir en France... Beaucoup aussi ont fui les CAO effrayés après qu'un des leurs eut été embarqué par la police. Amanzada et Niaiazaï, deux amis d'Idress hébergés avec lui, se sont ainsi volatilisés terrorisés après l'interpellation de leur ami. " Désormais, ils sont considérés en fuite et devront attendre dix-huit mois pour redéposer une demande d'asile en France " , déplore Maya Konforti.
Pour elle, comme pour la poignée de militants, le travail devient colossal depuis que, ces derniers jours, les arrêtés de transfert vers l'étranger se multiplient. Rien qu'en Seine-Maritime une trentaine ont été pris. Dans le Grand Est, " plus d'une centaine de personnes sont assignées à résidence et attendent leur renvoi ", déplore Arlette Sauvage, responsable de la Cimade pour les Ardennes. Et le gros des dossiers est à venir puisque la moitié des 7 000 évacués du démantèlement de Calais a laissé des empreintes ailleurs en Europe... Dans ses bureaux de l'Ofpra, le directeur Pascal Brice, qui avait porté le message ministériel dans la lande de Calais se bat " pour que cette parole soit respectée ".
En fait, le sort des évacués du camp de Calais dépend surtout de la localisation du CAO vers lequel ils ont été envoyés car, dans la cacophonie générale, les préfets font comme ils l'entendent, soumis, comme l'a précisé un responsable préfectoral, à " un contre-ordre après la promesse de M. Cazeneuve " . " Une contre directive nous a demandé deux semaines après l'évacuation, de mettre tout le monde en procédure Dublin " , explique clairement une préfecture du Grand Est aux associations sur place, pour expliquer l'intensification des " avis de réadmission "
" Ils ne doivent surtout pas fuir "Avec le Doubs, la Vendée et la Haute-Garonne, les Ardennes - où Idress a été envoyé en CAO le 13 juin, trois jours après avoir déposé sa demande d'asile -, assignent le plus à résidence les naufragés de Calais. Le 30 novembre, sa galère avait commencé par son transfert du CAO vers un foyer, et une obligation de pointer à la gendarmerie. " Alors bien sûr, on peut dire qu'on n'a pas tenté de le renvoyer depuis le CAO, mais... depuis le foyer " , rappelle Arlette Sauvage. Comme elle, Maya Konforti, en a assez qu'on joue sur les mots. " Quand on dit pas de renvoi sous la contrainte, ça veut dire quoi? Etre assigné à résidence c'est déjà une contrainte " , observe cette militante qui aide les évacués de Calais à éviter l'avion. " En respectant l'assignation à résidence. Ils ne doivent surtout pas fuir, sinon ils devront attendre dix-huit mois avant de rédeposer une demande d'asile en France " , rappelle-t-elle.
Même en essayant de tenir cette voie étroite, Idress a connu les menottes le 5 janvier. Ce jour-là, il aurait dû fêter ses 19 ans; son premier anniversaire loin de sa famille. " A 2 h 30 du matin, les gendarmes sont arrivés dans ma chambre du foyer de Vivier-au-Court. Ils m'ont menotté et emmené en voiture vers Roissy " , dit-il. Aujourd'hui, aucune structure d'hébergement ne l'accepte.
Le 9 janvier, en effet, trois jours après sa sortie de rétention, la responsable de la Cimade des Ardennes, s'est entendue répondre par le foyer de Vivier-au-Court où Idress était hébergé " que les serrures de sa chambre avaient été changées " et le service d'hébergement d'urgence du département lui a confirmé " que la préfecture des Ardennes avait désormais interdit de lui fournir un abri " . Un cas qui n'est pas isolé puisque Abubakar, venu de Calais, s'est aussi retrouvé fin décembre rejeté de son foyer de Montbéliard (Doubs) en sortant de rétention, pour avoir refusé son vol... Comme Mansour à Besançon mis dehors de son CAO le 28 janvier pour avoir refusé de retourner en Italie. Pourtant ce jeune Soudanais de 25 ans s'était précipité dans un des premiers bus au premier jour de l'évacuation du campement le 24 octobre au matin.
Le nouveau ministre de l'intérieur, Bruno Le Roux, rappelle pourtant régulièrement que " les engagements seront respectés " , qu'aucun migrant évacué de Calais " ne fera l'objet d'un transfert contraint " . Une parole politique qui s'éloigne un peu plus chaque jour de la réalité du terrain.
Maryline Baumard
Danielle Sutra
14 rue Porte en Rivière
09600 Laroque d'Olmes.