Accueillir encore des réfugiés ? Bien sûr, répondent la majorité des Allemands. Plus de 87 % d’entre eux sont favorables à l’accueil de familles bloquées en Grèce, selon un sondage de la télévision publique allemande (ARD). «C’est normal d’aider des gens en difficulté, s’insurge Andrea Schlenker, cheffe du département migration et intégration de l’association caritative catholique Caritas. La vraie question n’est pas de savoir si les Allemands sont accueillants, mais de savoir pourquoi les autres Européens ne le sont pas.» L’expérience de 2015 et 2016 (un million de réfugiés arrivés en quelques mois) ne les a pas découragés. «Bien au contraire, cela nous a montré que nous étions capables d’organiser correctement l’accueil de gens en difficulté. Les Allemands ont surmonté leurs craintes en entrant en contact avec des familles qui avaient les mêmes peurs et les mêmes rêves qu’eux», insiste Andrea Schlenker.

Mobilisation

Ils n’ont pas accueilli les réfugiés par intérêt économique, contrairement à une idée répandue en Europe. «C’est vraiment un acte d’humanité», insiste Samy Charchira, pédagogue et membre de la Conférence gouvernementale sur l’islam. «Sinon, nous n’aurions pas accepté autant de gens analphabètes», ajoute Andrea Schlenker.

Les Allemands sont accueillants et généreux par tradition. Ils font partie des plus grands donateurs au monde. «La société civile a ce réflexe culturel d’aider les autres, explique Frank Baasner, le directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI). Le vrai traumatisme des Allemands, ce n’est pas d’avoir accueilli des réfugiés en 2015, mais d’avoir été lâchés par les Européens !» insiste-t-il. Après l’incendie du camp de Moria en Grèce (lire ci-dessus), la France s’était dite prête à accueillir une centaine de migrants, notamment des mineurs isolés. L’Allemagne évoquait, elle, plus de 1 500 personnes. Les Allemands ne se demandent donc pas aujourd’hui s’il faut accueillir les réfugiés, mais comment convaincre les Européens de les aider. Parmi eux, plus de 40 % estiment qu’il faut d’abord un accord avec les autres membres de l’Union européenne sur une répartition équitable avant d’accueillir d’autres réfugiés.

Par ailleurs, sans une mobilisation massive de la société civile et de l’Eglise, les responsables politiques ne seraient sans doute pas disposés aujourd’hui à aider autant les réfugiés. «La pression de la rue sur le gouvernement a été énorme. C’est sans aucun doute ce qu’il manque dans d’autres pays », souligne Andrea Schlenker. Le week-end dernier, plusieurs milliers de manifestants sont descendus dans les rues dans plusieurs villes d’Allemagne en criant : «Nous avons de la place !» Les structures d’accueil mises en place dans l’urgence en 2015 sont pratiquement vides. Plus de 170 communes répètent depuis des mois qu’elles veulent accueillir des réfugiés bloqués en Grèce.

Modération

Hormis l’extrême droite, la classe politique est unie sur le principe d’une culture de l’accueil, surtout dans l’urgence. «Même les électeurs de droite n’acceptent pas en Allemagne qu’on instrumentalise les réfugiés à des fins électorales», estime Frank Baasner. La déroute électorale des conservateurs bavarois (CSU), qui avaient copié l’extrême droite en 2018 lors du scrutin régional, a convaincu les plus radicaux de modérer leur discours. «Ce n’est pas avec les réfugiés que nous avons fait une mauvaise expérience, mais avec la violence d’extrême droite», constate Samy Charchira, de la Conférence gouvernementale sur l’islam.

Stéphane Roland Intérim à Berlin